Ce billet se focalise sur l’illisibilité de la redistribution sous un angle particulier : celui du caractère incitatif et équitable de la redistribution telle que perçue par les classes médianes.
Le précédent article indique l’ensemble des problèmes posés par l’illisibilité du système de redistribution. Les études semblent se focaliser sur deux points :
- la trappe à pauvreté : la redistribution décourage-t-elle le travail ?
- L’ampleur de la redistribution opérée par le système de redistribution.
Sur le premier point, la mise en place du RSA et de la prime pour l’emploi semblent avoir réglé largement le problème comme l’indiquent les simulations d’ATD quart-monde.
Sur le second point (cf. Cazenave et al., 2013), le système français semble assez efficace dans la mesure où les prestations sociales et les prélèvements réduisent bien les inégalités sociales. Ainsi, dans l’ensemble la redistribution divise par deux les inégalités entre les 20 % les plus riches et les 20 % les plus pauvres.
De prime abord, le système de redistribution paraît donc efficace. Cependant, Landais, Piketty et Saez (2011) ont déjà montré qu’à l’intérieur du décile le plus riche, la redistribution tendait à devenir régressive : elle tend à accroître les inégalités entre le 1 % le plus riche et les gens un peu moins aisés.
Mais, qu’en est-il de la perception de la redistribution par les personnes concernées ? A commencer par les classes médianes (je préfère ce terme à « classes moyennes » sur lequel il semble il y a avoir un malentendu entre la sociologie et la statistique économique). La classe médiane correspond grosso modo à la population qui tire l’essentiel de ses revenus de salaires mais de salaire peu éloignés du salaire médian (donc, des gens gagnant entre le SMIC et deux fois le SMIC).
Du fait de la complexité du système de redistribution parafiscale (notamment les aides conditionnées), cette population est celle pour qui les décisions économiques sont les plus complexes : faire des heures supplémentaires ? Accepter de déménager pour gagner 20 % en plus ? Renoncer à un logement HLM pour devenir propriétaire ? Prendre un temps-plein et payer une crèche à plein-temps ? etc…. A chaque fois, il faut prendre en compte des conséquences multiples sur le plan des impôts et des avantages sociaux divers conditionnés par le revenu. Au final, la décision dépendra de la perception de la variation de pouvoir d’achat.
Il y a là une double difficulté pour le décideur politique :
- prendre en compte tous les effets, ce qui implique une connaissance du mode de vie des personnes concernées (modes de transports, modes de garde d’enfant, propriétaire / locataire dans le privé/locataire HLM…).
- Considérer non la variation objective de pouvoir d’achat mais la perception qu’en ont ceux qui décident. Nous avons vu précédemment que les bénéficiaires potentiels d’aides n’en avaient pas toujours conscience, il est aussi probable que le mode de calcul conduisant à une décision soit aussi biaisé.
Il est probable, qu’au final, le lien entre le revenu et le Pouvoir d’achat perçu soit le suivant :
SI pour les plus défavorisés, les politiques contre la trappe à pauvreté aient permis de convaincre de l’intérêt de travailler plus et s’il est probable que pour les plus riches, les effets de seuil ne jouent pas, pour les catégories médianes, il est certain qu’ y a des zones d’effets de seuil. Ces zones conduisent à faire des choix sous-optimaux pour la société (exemple : renoncer à un travail mieux rémunéré, travail qui va rester vacant et réduire l’activité d’une entreprise) et donnent une perception d’iniquité du système.
Crédit image : auteur.
Références :
- Caznave, M-C, Duval, J., Lejbowicz, T., Stehlé, J. (2013), La redistribution : état des lieux en 2012 dans France, portrait social, INSEE.
- Landais, C. , Piketty, T. et Saez, E. (2011), Pour une révolution fiscale : Un impôt sur le revenu pour le XXIe siècle, Seuil.