Dans les débats politiques la référence à une « nature humaine » est fréquente, mais en vérité cette nature n’a rien d’évidente…Heureusement des anthropologues tels qu’ Alain Testart nous éclairent !
Ainsi, dans l’émission « On n’est pas couché » du 8 mars 2014, un échange vif opposa Frigide Barjot et Aymeric Caron. F. Barjot s’oppose au mariage des couples homosexuels au nom de la nature hétérosexuée de la filiation : chacun a une mère et un père. Or, le droit à l’adoption des couples mariés homosexuels permet une filiation sans mère ou sans père. A. Caron a répondu en lui indiquant un ouvrage (dont je n’ai pu retrouver ni l’auteur ni le titre) d’un anthropologue qui montre la pluralité des formes de famille et de filiations. F. Barjot a rétorqué que l’exemple d’un peuple de Papouasie ne peut servir de référence pour un débat sur la société française contemporaine. Et pourtant, si…
Connaître la richesse du passé de l’Humanité pour comprendre ses futurs possibles.
Dans un débat, lorsqu’on utilise l’argument de la nature humaine on confronte les choix sociaux aux limites des choix humains. Si certains voulaient autoriser le vote dès l’âge de 3 ans, nul doute qu’on leur répondrait qu’un enfant de 3 ans, n’a pas les facultés mentales de voter en connaissance de cause. Si quelque chose est dans la nature humaine, son interdiction serait vaine, si elle était contraire à la nature humaine, son autorisation porterait atteinte à la société dans son ensemble. Or si une pratique est interdite dans toutes les sociétés humaines passées et actuelles (cas des relations sexuelles parent/enfant), cela doit être dû au fait que lorsque cette pratique a été essayée, elle a sans doutes posé de tels problèmes qu’il valait mieux l’interdire. Si maintenant une pratique existe dans certaines sociétés et est interdite dans d’autres, alors un élément de contexte social qui différencie ces sociétés doit expliquer la divergence des sociétés concernant cet interdit. Cela implique qu’un changement de contexte social dans la société peut conduire à rendre caduque les causes de l’interdit. Autrement dit, ce qui est universel est probablement lié à la nature humaine, ce qui n’est pas universel relève plus probablement de la culture… or si la nature humaine est stable (du moins, pour l’instant), la culture, elle, peut évoluer rapidement. En analysant les organisations sociales passées et actuelles sur toute la planète, l’anthropologie explore la nature humaine et permet de distinguer ce qui relève de choix culturels.
Testart, le Buffon de l’évolution politique.
Parmi les anthropologues, Alain Testart, mort en 2013, a mené un travail admirable qui éclaire nombre de questions de philosophie politique.
Buffon, naturaliste du XVIIIème siècle, a réalisé une classification systématique des espèces végétales et animales. Ce travail a donné à Darwin et à Wallace un matériau intellectuel qui a facilité la conceptualisation de la théorie de l’évolution.
Testart, a consacré l’essentiel de sa carrière à des travaux de synthèse visant à esquisser un schéma général de l’évolution politique des groupes humains. Mon ouvrage préféré de Testart est son essai « Eléments de classification des sociétés ». Ouvrage court qui fait le tour du monde des sociétés passées et présentes, il permet de comprendre la cohérence des règles sociales, économiques et politiques. Dans d’autres ouvrages, Testart laisse plus de place à son interprétation personnelle et insiste sur des dimensions symboliques plus discutables, c’est le cas notamment d’ « Avant l’histoire : l’évolution des sociétés, de Lascaux à Carnac » (2012) ou de ses ouvrages sur le rôle du sang dans le division sexuelle du travail. Pour moi, le tour de force de Testart est dans sa capacité à voir les logiques à l’œuvre dans les sociétés anciennes sans biais ethnocentrique. En ce sens, son travail semble similaire à celui qu’avait fait Buffon avec l’étude des espèces vivantes. Une société ne dure que si toutes ces règles sont cohérentes et lui permette de survivre dans son environnement. Ce travail lui a notamment permis de montrer l’existence de différentes configurations politiques distinctes ayant chacune des idéaux-types distincts : sociétés égalitaires de chasseurs-cueilleurs, sociétés agricoles où le pouvoir repose sur la dette et l’esclavage, sociétés étatiques où le pouvoir repose sur des droits de propriétés individualisés. A chaque fois, le contenu et la répartition du pouvoir politique diffère. Il ne faut donc pas voir l’évolution politique comme l’histoire de la mise en place progressive d’un état de droit démocratique avec séparation des pouvoirs mais comme une série d’équilibres entre des institutions et un environnement socio-économique lui-même modifié par les technologies, le climat et la concurrences entre groupes humains aux cultures distinctes.
En repensant aux théories du contrat social, on pense forcément à leur référence à un état naturel, à un ordre politique premier et à leur difficulté de penser l’homme, animal social dans un monde sans Etat. Or, grâce aux travaux d’anthropologues tels que Testart, l’état de nature devient un objet de connaissance qui nous aide à envisager les différents possibles de l’ordre politique.
Je reviendrai prochainement sur le contenu de ces ordres politiques possibles. Auparavant, j’évoquerai un auteur dont les thèses sur l’origine de l’Etat prolongent largement celles de Testart (2004) : Jared Diamond.
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Auteur à partir d’une image générée par Maple http://www.mathcurve.com/fractals/arbre/arbre.shtml
Références bibliographiques :
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Testart, A. (2004), La Servitude volontaire, tome 1 : Les Morts d’accompagnements. Editions Errance.
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Testart, A. (2004), La Servitude volontaire, tome 2 :L’origine de l’état. Editions Errance.
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Testart, A. (2005). Eléments de classification des sociétés. Editions Errance.
Une pensée sur “Alain Testart, l’intérêt philosophique de l’anthropologie et la quête de l’état de nature.”