L’extension du salaire minimum à l’échelle de l’UE semble être un des thèmes majeurs de la campagne électorale européenne. L’occasion de rappeler que le salaire minimum relève d’une logique utilitariste pourtant souvent décriée par ailleurs.
Pourquoi un salaire minimum ?
Le Salaire Minimum (SM) est souvent vu comme un moyen de lutter contre la pauvreté. Mais dans nos sociétés (pays développés), les pauvres sont surtout ceux qui n’ont pas de travail. Ces personnes bénéficient d’ailleurs d’outils de redistribution spécifiques : les minimas sociaux (RSA, Aide Sociale aux Personnes Âgées..). En France, comme dans beaucoup de pays, le seuil de pauvreté est d’ailleurs inférieur au salaire minimal (700 0 900 € pour le premier selon le mode de calcul contre un peu plus de 1100 € nets en 2014 pour le SM).
L’intérêt du SM est ailleurs. Il évite une concurrence entre salariés peu qualifiés pour avoir un emploi. A moyen/long terme il décourage le maintien d’activité employant des personnes peu qualifiées (sans SMIC, des industries à faibles valeur ajoutée se maintiendraient en France, l’existence d’un SM devrait pousser les français à être plus qualifiés pour pouvoir accéder à un emploi).
En quoi le Salaire Minimum est utilitariste ?
L’utilitarisme (dans ses versions “basiques” notamment celle de Jeremy Bentham) consiste à privilégier les choix qui maximisent le bonheur (ou “la somme des plaisirs” pour reprendre la terminologie initiale) et minimisent les “peines” de l’ensemble de la population. Si un choix permet de rendre quelqu’un beaucoup plus heureux et un autre un peu moins heureux, ce choix sera préféré au statu quo. L’utilitarisme accepte donc que le sort de certains soit sacrifié.
Le Salaire minimum permet à une majorité de travailleurs peu qualifiés d’avoir un salaire plus élevé que ce l’équilibre de marché aurait permis (l’équilibre : lorsque le salaire est tel que seul seraient sans emploi ceux qui trouvent que le salaire est trop bas pour qu’ils prennent la peine de travailler). Mais il conduit à exclure une minorité du marché du travail (ceux dont le travail ne rapporte pas assez pour que les entreprises trouvent rentables de les payer au SM), pour ceux-là le SM est une entrave à leur liberté. Il constitue aussi une entrave à la liberté des employeurs potentiels.
La critique de l’Utilitarisme.
L’utilitarisme (dans ses différentes versions) fait l’objet de deux types de critiques principales :
- Il est conséquentialiste : il ne juge la moralité d’un acte qu’au regard de ses conséquences, peu importe l’acte, seuls compte le résultat. La fin justifie les moyens.
- Il tient compte de la satisfaction de tous les individus mais ne tient pas compte des droits individuels : il justifie le sacrifice de certains (voir d’un grand nombre) si la conséquence apporte assez de bénéfices aux autres. Pour un utilitariste, on peut tuer quelqu’un (même innocent) si son maintien en vie risque de conduire, en moyenne, à la mort de plus d’une personne.
Évidement le SM ne tue pas grand pas monde. Pour autant, il est sujet au mêmes critiques celles de utilitarisme : il fait abstraction de droits individuels en matière de liberté contractuelle et se justifie par ses conséquences sur le niveau de vie accru d’un grand nombre de personnes.
Le Salaire Minimum, illustration de la nécessaire pluralité des principes de justice.
Sen (2010) insiste sur l’impossibilité de considérer un seul principe comme apte à déterminer ce qui est juste et ce qui ne l’est pas.Le SM, même si il peut être amélioré dans ses modalités pratiques paraît un choix raisonnable pour la plupart des sociétés : le sacrifice qu’il impose à certains est limité (un faible salaire au lieu d’un minima social, la renonciation à des travailleurs à faible valeur ajouté) et temporaire (les évolutions des compétences et du marché du travail rendent possible au sacrifiés des opportunités d’emploi/d’embauche à moyen terme). Le SM illustre l’intérêt du principe utilitariste alors même qu’appliqué à d’autres domaines, il paraît effroyable (voir le film Minority Report pour une application à la délinquance).
NB : Certains férus de micro-économie, vont me dire qu’à l’équilibre de marché, le “surplus global” est maximal, oui mais d’une part, le marché du travail est imparfait et surtout le passage du “surplus global” à une somme d’utilités est incertain et suppose notamment qu’un euro de profit en plus dans le poches d’un actionnaire équivaut, en terme d’utilité, à un euro de salaire en plus dans les poches d’un salarié peu qualifié. Si on suppose l’utilité marginale décroissante et le revenu des ouvriers peu qualifiés nettement inférieur à celui de l’actionnaire moyen, l’équivalence devient hautement improbable. Aussi, je mets au second plan l’effet du SM sur le profit.
Crédite image : auteur.
références :
- Onfray, M. (2010), Contre-histoire de la philosophie, t. 5 : L’Eudémonisme social, Paris, Le Livre de poche, coll. « Biblio Essais », p. 71-125.
- Sen, A. (2010), L’idée de justice, Flammarion (initialement publié en anglais sous le titre « The Idea of Justice» et édité chez Penguin Books, la traduction en français a été faite par Paul Chemla et Eloi Laurent).
- http://utilitarianism.net/bentham/