Cet article vous propose de chercher dans vos choix quotidiens des preuves de la valeur accordée à la liberté
Sen (2010) imagine une personne empêchée de sortir chez elle un soir mais qui de toute façon n’a aucune envie de sortir de chez elle. Une telle situation serait-elle contrariante ? Sen répond oui et souligne l’importance de la liberté comme fin : être libre pour être libre et non pour accéder à de nouvelles activités (même si ces activités vous rendent plus heureux).
Je me suis alors demandé si dans mon quotidien certains de mes comportements permettaient de prouver que j’accorde de la valeur, voir que je peux mettre un prix à la liberté. En bon chercheur, j’ai cherché et… je pense avoir trouvé !
Pour me rendre sur mon lieu de travail, je prends le métro. Le trajet dure environs 15 minutes. J’ai remarqué que 4 fois sur 5, avant de sortir de chez moi, je prends la peine de mettre un ou deux livres dans mon sac. Le temps mis à les chercher et à les sélectionner correspond à deux minutes, auxquelles on peut rajouter, une minute au retour pour enlever et ranger les livres. Disons donc 3 minutes en tout. Pour rentabiliser ces 3 minutes perdues, il faudrait qu’en moyenne je passe plus de 3 minutes dans le métro à lire ces ouvrages. Or, je sais maintenant que 9 fois sur 10 je n’y touche pas (parfois, le métro étant bondé, je ne peux rien faire, d’autre fois, je lis mon courrier, je lis mes mails, d’autres fois encore j’observe les gens…). Compte-tenu de la durée du trajet, le bilan est clair : je passe plus de temps à prendre/enlever les livres qu’à les lire. J’en suis maintenant certain. Mais je n’ai pas changé mon habitude. Ce temps « perdu », c’est un petit peu du prix de ma liberté, le prix pour pouvoir lire un livre qui m’intéresse si j’ai envie de le lire dans le métro.
Et vous, pouvez-vous prouver que vous accordez de la valeur à la liberté ?
Je vous laisse 5 minute, après je relève les copies et je corrige.
En guise de « correction », voici quelques réponses glanées en observant et discutant :
- Un ami bloque sa carte bleue en faisant trois fois un mauvais code, il doit attendre le lendemain pour aller à la banque et débloquer la carte. Il est 23h passé, il lui reste 20 euros en liquide sur lui et il n’a aucune dépense prévue, il est sur le point de rentrer chez lui et se coucher. Pourtant l’impossibilité de dépenser plus de 20 euros d’ici à demain matin le fait enrager, je lui demande s’il serait prêt à me donner 10 euros si je peux débloquer sa carte, il me répond « bien sûr !».
- Une amie part en Week End. Sa lourde valise contient assez de tenues pour tenir 10 jours… oui, mais voilà, elle ne veut pas renoncer au plaisir d’avoir à choisir sa tenue du dimanche ! Coût : valise alourdie + risque accrue de perdre les tenues transportées (qui auraient moins de chances d’être perdues si elles restaient chez elle).
- Pendant trois ans, j’ai payé 36 euros par an un supplément qui me permettait d’accéder à des chaînes de télévision que je n’ai jamais regardé et qui ne m’intéressaient pas a priori. Oui, mais voilà, l’idée de pouvoir les regarder si jamais j’en avais envie me suffisait…
J’ai ici implicitement réduit la liberté au fait d’avoir un choix. J’aurais pu compliquer la chose en rajoutant l’idée d’une nécessaire conscience des causes de nos désirs (idée que l’on trouve notamment chez Spinoza, 1674)… mais je doute que cela change mon propos. Il s’agit de montrer que la liberté a une valeur comme fin et non seulement comme moyen.
Dans l’article qui suit je vais essayer de vous convaincre que la liberté doit être défendue et chérie pour elle-même et non pour ce qu’elle peut nous apporter comme moyens pour être heureux.
Références :
Sen, A. (2010), L’idée de justice, Flammarion (initialement publié en anglais sous le titre « The Idea of Justice » et édité chez Penguin Books, la traduction en français a été faite par Paul Chemla et Eloi Laurent).
Spinoza, B. (1674), Lettre à Shuller, publiée dans Oeuvres Tome IV : Traité Politique.Lettres., Garnier-Flammarion (édité en 1955), tome 4, pp.303-304.
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